mercredi 15 février 2017

Premier atelier - Le point de vue de nos sociologues

Voilà, c’est fait ! Le projet Déplaces, c’est parti. Nous voilà dans le vif du sujet. Mercredi 8 février, une vingtaine de personnes, dont beaucoup sont en situation de migration, se sont données Rdv au musée de la Danse à Rennes pour se rencontrer, partager musiques et danses l’espace d’un instant, comme une respiration, une parenthèse aussi. Chacun d’entre nous en a besoin, pas seulement ces jeunes venus de Géorgie, Russie, Mali, Guinée, Burkina-Faso, Afghanistan… qui font pour certains péniblement leurs premiers pas en France, se heurtant à la lourdeur, quand ce n’est pas l’incompréhension, de la machine administrative, à la précarité, l’incertitude… Nous sommes tous-tes là réunis-es pour danser à l’unisson au gré des propositions de chacun-e.

Le corps – celui des autres, de tous les autres – est au cœur de ma participation observante : celui des participants, mais aussi le mien qui, je le sens, va être mis à rude épreuve ! Ma posture n’est pas très orthodoxe car habituellement les sociologues optent pour une posture d’extériorité par rapport à leur objet, observent à distance plutôt qu’une observation du dedans, c'est-à-dire de l’intérieur. Mais peu importe, cette façon de faire de la sociologie est la mienne et elle s’est même accentuée, puisqu’aujourd’hui j’y joins le corps, le geste et la parole au risque que certains collègues disent de mon travail que « ce n’est pas »1 ou « plus » de la sociologie, comme s’il y avait une seule et unique manière de faire de la sociologie, voire de la science…

Dans cette recherche-action, ma posture est guidée par l’hypothèse suivante : pour rendre compte de ce qui va se jouer dans ces ateliers rassemblant des jeunes et moins jeunes, de garçons et des filles, des Français et des étrangers, des majoritaires (au sens sociologique/politique du terme et non numérique) et des minoritaires, etc., je vais tenter de le faire avec tout mon corps dansant, transpirant, se marrant avec le groupe. De toute façon je n’ai pas le choix – ou plutôt je fais ce choix – car se poster pour observer, rester les bras ballants ou pire, avec un ordi ou en prenant des notes, est impossible, personne ne le permettrait ! Marine, l’une des chorégraphes, m’a prévenue en rigolant : « ici tout le monde danse ! ». Alors oui, c’est bon, j’y vais parce qu’un peu d’incarnation ça ne peut pas faire de mal ! (E. Fiat). C’est ce que nous avons décidé d’expérimenter avec mon collègue sociologue Omar : saisir au plus près le langage des corps en action afin de découvrir les représentations pour mieux les discuter ensuite...

Mais au fond, non seulement je ne rechigne pas à « y aller » mais j’y vais avec plaisir, curiosité, avidité. Ce faisant, j’assume pleinement ma posture de sociologue impliquée qui conjugue activité de chercheur et préoccupations politiques (au sens étymologique de « qui concerne les citoyens »).

Si Déplaces est, comme je le pense, un projet qui entend déplacer, dépasser, faire fi des frontières et des appartenances pour rire un instant, alors, ce mercredi 8 février, on s’est bien marré parce que on s’est joué de nos appartenances et distance réelle ou symbolique : « toi Keti, tu viens de Géorgie, qu’est-ce que tu as envie de partager avec nous ? ». Keti, radieuse, nous invite à la suivre et nous entraîne avec volupté dans une danse de « chez elle ». Malgré l’imprécision des mouvements, les hésitations des corps, les uns-es et les autres portés-es par l’énergie du groupe y ­vont sous le regard bienveillant des autres. Une forme d’échoïsation s’observe d’emblée, dès les premiers pas. Finalement on ne sait pas ce qu’est la danse géorgienne, on en a une petite idée, mais là n’est pas l’essentiel : une connivence des corps et des émotions générées par les corps en mouvement s’installe et ensemble, on danse ! C’est le tour d’Abdul qui entraîne le groupe en Afghanistan… Puis quelqu’un a dit « et les danses bretonnes ? Qui connaît ? » en s’adressant aux locaux de l’étape et là on a aussi vraiment rigolé parce que personne ne sait, mais on a quand même essayé en faisant une ronde, on s’est pris les petits doigts et c’est parti… Rude épreuve pour nos petits doigts « on n’avait qu’à pas… ». Et là on s’est dit « n’importe quoi cette histoire de danse bretonne, c’est pas parce que l’on vit à Rennes, en Bretagne, que l’on sait… ». Un pied de nez, une façon de se rappeler que renvoyer les individus à leurs origines (réelles ou supposées) comme ça, à travers la danse, ce n’est pas très grave parce que l’on n’est pas dupe et que l’on a envie de dépasser cela et de se re-connaître vraiment, le temps d’une danse…

Finalement faire de la sociologie avec son corps, c’est pas mal ! Car, pour venir danser avec les autres, il ne faut pas simplement avoir des catégories de perceptions, il ne faut pas seulement avoir les habiletés motrices, kinesthésiques… il faut aussi avoir les désirs. Il faut vouloir prendre à bras le corps cet univers, avoir envie de venir danser, là où s’entretient le désir d’être (apprenti) danseur parmi les (apprentis) danseurs et de danser. Venir là, c’est prendre du plaisir à déchausser ses chaussures, enlever son manteau, respirer les odeurs des corps des autres, accorder le rythme de son corps à celui des autres… Là, le Moi s’étend vers le monde des autres, et les autres à leur tour deviennent des habitants du Moi.


Anne Morillon / Omar Zanna
1 . Becker H. S., Les Ficelles du métier. Comment conduire sa recherche en sciences sociales, Paris, La Découverte, 2002. Voir en particulier le chapitre intitulé « Ce n’est pas (telle ou telle chose) » : p. 249-253.

mardi 14 février 2017

Premier atelier - Retour photographique et vidéo

Ce mercredi (le 8 février),  c'était la première fois que tout le monde était réuni autour de Déplaces et que les différents participants se rencontraient, nous étions environ 25. Exceptionnellement nous avions trois heures plutôt que deux les prochaines fois. 

Avant de déplacer les frontières et les regards, pour le début de cette première séance, tout le monde c'est d'abord présenté, puis s'est mis en mouvement. Pour réchauffer les corps et apprendre à bouger ensemble. Pour commencer à créer du commun progressivement et s'approprier l'espace.
Un exercice nous invite à compléter le geste de notre voisin par un autre et ainsi de suite jusqu'à l'élaboration d'un mouvement plus complexe que le cercle des participants réalise en même temps. Un autre nous permet de nous recentrer, en fermant les yeux, nous changeons nos positions pour jouer sur notre équilibre et écoutons ce qui change dans notre corps.
Vient ensuite le temps de partager ses danses avec les autres participants, Mohammadi initie le bal avec le Coupé-décalé. Tout le monde se prête au jeu, les premières gouttes de sueur perlent, les enceintes libèrent le volume nécessaire pour pouvoir dépasser nos retenues. Le temps d'une chanson les danseurs et danseuses forment un groupe soudé.

Notre voyage par l'intermédiaire de la danse continue et nous amène en Géorgie. Les mouvements sont fluides et gracieux. Impressionnant. L'assemblée est focalisée sur notre jeune danseuse et suit tant bien que mal ses mouvements. Cela a pourtant l'air si simple et fluide quand elle les exécute !
 Nous continuons avec une danse afghane, un autre Coupé Décalé avec cette fois une approche comorienne, puis pour finir nous revenons en Bretagne pour improviser quelques pas de danse traditionnelle. Le cercle du début se reforme, en nous tenant par les petits doigt comme le veut la pratique. Nous ne sommes pas encore tout à fait au point pour cette Ridée il faut bien l'avouer mais, si les pas ne sont pas réglés, la ronde incarne bien la rencontre qui a pris corps cet après-midi : nous bougeons en un seule bloque.
Avant de regagner nos quotidiens et l'agitation du monde extérieur, nous redescendons avec des étirements, jusqu'au cercle final qui nous permet de faire le point sur les heures que nous venons de passer tous et toutes ensemble.
Photos prises le 8 février- ©François Langlais
 
Pour une première cet atelier était prometteur. L'énergie des plus motivé-e-s par la danse a été communicative et tout le groupe c'est mis en mouvement, chacun se déplaçant selon ses capacités, son niveau et ses connaissances. 



Appendice.  
Des bribes de conversation qui font sens

« T'enlève tes gants, t'imagines que le combattant est pas là, il est dedans »
Quand une chorégraphe se met dans la peau d'un boxeur pour lui dire qu'il sait déjà danser.

« Tu dis pas aux gens qu'ils vont danser, ils vont se mettre en mouvement, bouger, se déplacer »
Tous les jours on se déplace, on danse déjà un petit peu.